Luann Baker-Johnson, fondatrice de Lumel Studios, parle de la création artistique dans le Grand Nord. #maréalisation
Publié le 22 mai 2019 • 10 min de lecture
Vous êtes-vous déjà demandé comment les entrepreneurs réussissent à transformer leurs rêves en réalité ? Ce qui les motive à repousser les limites, à susciter le changement et à faire progresser leur secteur ? Nous avons eu l’occasion de le demander à des propriétaires de petite entreprise du Canada.
Luann Baker-Johnson est une artiste passionnée du Yukon dévouée à la cause du mieux-être des gens en difficulté. En fondant l’atelier de verre soufflé Lumel à Whitehorse, Mme Baker-Johnson a créé un chef-d’œuvre qui marie à merveille expression artistique, soutien à la collectivité et durabilité d’une entreprise.
Q. : Pourquoi appelle-t-on Lumel l’« usine du bonheur » ?
L. Baker-Johnson : Lumel Studios offre de nombreux ateliers et des démonstrations quotidiennes de soufflage du verre. C’est aussi une galerie où sont exposées des créations inspirées de thèmes nordiques. Engagé envers la collectivité, le studio présente en outre régulièrement des ateliers et des démonstrations s’adressant aux itinérants, aux jeunes en difficulté et aux aînés.
En ce qui me concerne personnellement, Lumel représente une vie remplie de satisfaction. Être riche, à mes yeux, c’est pouvoir partir à l’aventure dans l’immensité du Yukon tout en ayant la possibilité de travailler à faire ce qui me passionne le plus.
Q. : Comment maintenez-vous un équilibre entre vos rôles d’artiste et de propriétaire d’entreprise ?
L. Baker-Johnson : Dans mon cas, l’équilibre n’inclut pas la création. Dès que l’entreprise a commencé à prendre de l’essor, j’ai fait le choix de laisser aux autres souffleurs de verre le soin de s’occuper des activités de l’atelier.
Je consacre la majeure partie de mon temps à la gestion et aux interactions. Bref, je gère l’entreprise, je parle avec des gens et je discute avec ceux qui viennent au studio. J’arrive normalement vers 4 h 30 ou 5 h du matin afin de profiter de ces moments de calme pour effectuer des tâches administratives.
Il est difficile de laisser de côté l’artiste qui est en moi, mais je me réjouis des succès de mes collègues. Même si la période actuelle se prête mal à mon évolution comme souffleuse de verre, j’aurai peut-être de nouveau l’occasion de m’y consacrer plus tard. En ce moment, mon travail est de veiller à ce que Lumel conserve son dynamisme.
Q. : Comment avez-vous financé le projet ?
L. Baker-Johnson : Financer ce grand rêve a été extrêmement difficile. Pour démarrer le projet, j’ai vendu ma maison à Calgary, au triple du prix que j’avais payé. Ça a aidé.
Ensuite, j’ai construit une grande maison avec d’autres artistes. Nous avons rénové des maisons et en avons construit trois pour nous, dont celle qui abrite le studio. Puis nous avons pris un emprunt hypothécaire maximal afin d’avoir les fonds nécessaires pour aménager le studio. À l’époque, nous étions tellement convaincus que nous aurions l’appui des banques que nous avons fait une bonne partie des travaux sans attendre d’avoir accès à l’ensemble des fonds.
Je n’avais pas réalisé tous les défis que comporterait la mise sur pied d’installations de soufflage du verre. J’ai dû discuter à de nombreuses reprises avec le chef des pompiers de Whitehorse en raison des exigences liées à la sécurité. Il a fallu aller au-delà des normes de conception habituelles. Ça a coûté cher. Mais tous ces efforts en ont valu la peine.
Q. : D’où tenez-vous cette qualité de persévérance ?
L. Baker-Johnson : Pour être propriétaire d’entreprise, il faut vraiment croire en soi-même, travailler et être déterminé. Il fallait que je fasse confiance au rêve qui m’habitait. J’ai dû prendre conscience que j’étais forte, que j’étais capable de diriger une entreprise, et que je pouvais le prouver.
J’ai toujours voulu qu’on me prenne au sérieux, mais les artistes ont du mal à se faire prendre au sérieux par le monde des affaires. Je me suis donc jointe à la Chambre de commerce de Whitehorse et à celle du Yukon. Je suis allée à tous les événements auxquels il m’a été possible de participer. Je voulais qu’on connaisse mon visage. À mesure que notre réussite a pris forme, je me suis fait accepter par ce milieu.
Q. : Y a-t-il quelque chose que vous auriez fait différemment ?
L. Baker-Johnson : Non. Si nous avions été plus prudents, Lumel n’aurait jamais vu le jour. J’avais un plan B : j’avais acheté une maisonnette au bord d’un lac dans la région. En cas d’échec, je serais allée y vivre.
J’aurais aussi organisé une immense fête afin de célébrer nos efforts malgré l’échec. J’aurais dit : « Quelle énergie incroyable nous avons déployée ! » Il y a toujours eu ce plan B, de sorte qu’un échec aurait été un échec glorieux !
Q. : Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui démarre une entreprise ?
L. Baker-Johnson : Au Canada, nous n’avons pas d’excuses pour ne pas tenter de réaliser nos rêves d’entrepreneurs. Un échec, ça ne nous détruit pas complètement. Quelle époque formidable pour être entrepreneur et tenter de réaliser un rêve en sachant qu’en cas d’échec, on passera à autre chose !
Démarrer une entreprise n’est pas facile. Le parcours peut être semé d’embûches. On fait inévitablement des erreurs. Tout le monde en fait. Il faut savoir être humble, car quiconque se met sur un piédestal est appelé à en tomber.
Acceptez simplement le fait que vous vous inquiéterez, que vous vivrez du stress. Dites-vous que ça fait partie du jeu.
Q. : Quel rôle l’inclusion a-t-elle joué dans votre réussite ?
L. Baker-Johnson : Lorsque des gens entrent au studio, ils ont l’impression d’arriver dans une famille. Nous appelons les gens par leur prénom. Nous avons aussi lancé une initiative afin de créer des possibilités pour les itinérants, que nous appelons des river walkers (des gens qui marchent au bord de la rivière). Nous connaissons leur histoire et leur famille. Nous sommes comme des cousins.
Nous voulons rendre accessibles les techniques de soufflage du verre, alors nous les enseignons à des gens de tous les âges et de tous les milieux, y compris aux aînés, aux itinérants et aux personnes souffrant d’un problème de dépendance. Nous tenons à offrir des ateliers à très faible coût afin que toute personne qui le souhaite puisse apprendre à souffler le verre.
Q. : Comment vous en tirez-vous financièrement compte tenu de cette préoccupation d’offrir des ateliers à faible coût ?
L. Baker-Johnson : Même si cela peut sembler étrange, nous ne faisons pas ce travail pour l’argent. Cela n’a jamais été le cas. Nous n’espérons pas devenir riches. À m’entendre, on pourrait croire que nous n’avons pas d’ambition. Mais en fait, notre vision témoigne de l’évolution de la société. Les gens sont en quête de valeurs plus profondes que la réussite financière.
Les gens voient que l’argent que nous gagnons soutient d’autres programmes, ainsi que la collectivité du Yukon. Lumel est une source de solidarité communautaire, et sa croissance lui permet de soutenir une population plus large. En trois mois, nous sommes parvenus à couvrir les versements de nos emprunts et nos frais d’exploitation.
Q. : Quel est le secret de votre réussite ?
L. Baker-Johnson : Nous voulions ouvrir une galerie, offrir des ateliers au public et exprimer notre engagement social. La réussite du studio est fondée sur ces trois éléments. Comme nous soutenons la collectivité, nous recevons son soutien en retour et même de l’extérieur du Yukon. Le bouche-à-oreille fait son œuvre. Des touristes viennent nous rendre visite après avoir consulté notre site Web. Des gens viennent nous rencontrer en raison de nos valeurs sociales.
Q. : Parlez-nous de certaines des personnes qui ont contribué à rendre ce projet possible.
L. Baker-Johnson : J’ai beaucoup de chance d’être entourée par mon équipe, qui compte les artistes qui ont choisi de venir s’établir ici avec moi. C’étaient, comme moi, des étudiants du Alberta College of Art and Design (ACAD). C’est là qu’ils ont entendu parler de mon rêve. J’ai eu la chance que plusieurs étudiants décident de s’engager dans cette aventure en me rejoignant ici.
Et au départ, j’ai eu la chance que mes parents viennent s’établir au Yukon, une région merveilleuse et remplie de promesses. On y trouve des aventuriers, et ils contribuent au soutien que nous recevons. Les gens d’ici ont l’esprit ouvert et sont disposés à essayer des choses nouvelles.
Il y a aussi, bien sûr, mon mari, avec qui je suis depuis le secondaire. Il me soutient énormément dans la réalisation de mes rêves fous. Par ailleurs, mes enfants sont heureux de nous voir suivre nos rêves et contribuer au mieux-être de la collectivité.
Le maire de la ville a aimé le concept dès le début. Il a adoré les possibilités et le rêve que laissait entrevoir notre studio. Nous lui avons confirmé qu’il avait raison en devenant un endroit à visiter à Whitehorse.
Q. : C’est la première fois qu’une personne du Yukon reçoit un prix national soulignant son esprit d’entreprise. Quel effet cela vous a-t-il fait de recevoir une telle reconnaissance ?
L. Baker-Johnson : Lors du gala de remise des Prix canadiens de l’entrepreneuriat féminin RBC, j’ai porté des vêtements et des bijoux fabriqués par des gens du Yukon. J’y suis allée en tant que résidente du Yukon et entrepreneure représentant ce merveilleux territoire.
Je suis arrivée au Yukon à l’âge de six mois. J’ai ensuite vécu ailleurs pendant 30 ans, mais j’avais le mal du pays. Je voulais que mes enfants grandissent au Yukon.
Q. : Quelle est la prochaine étape pour Lumel ?
L. Baker-Johnson : Nous étudions la possibilité d’avoir un studio mobile, et nous nous efforçons d’obtenir la tenue de l’édition 2025 du salon commercial World of Glass. L’un des défis à cet égard est le fait que nous devons pouvoir offrir aux visiteurs plus de 2 000 chambres d’hôtel alors qu’il n’y en a que 800 à Whitehorse à l’heure actuelle. Par conséquent, nous avons l’intention de créer un village de tentes comme il y en avait en 1898 à l’époque de la ruée vers l’or. Cela permettra aux visiteurs de vivre une expérience étroitement associée à l’histoire du Yukon. Nous avons une façon unique de voir les choses !
En novembre 2018, les réalisations de 23 femmes ont été soulignées par les Prix canadiens de l’entrepreneuriat féminin RBC 2018. Ces femmes exceptionnelles et leurs entreprises pionnières dans une variété de secteurs ont un objectif en commun : se distinguer par leur excellence. Vous aimeriez en savoir plus sur la façon dont elles ont concrétisé leurs idées d’entreprise ?
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