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Économie canadienne : analyser le passé pour prédire l’avenir

Par Diane Amato

Publié le 7 novembre 2024 • 13 min de lecture

L’économie canadienne ralentit après une période de « surchauffe », terme qu’emploient les économistes pour décrire une croissance excessive qui draine les ressources. Après les répercussions considérables de la pandémie, les perspectives économiques se stabilisent à présent au Canada et aux États-Unis. Lors d’une présentation récente, l’économiste de RBC est revenue sur 2020 pour jeter un éclairage sur le paysage économique actuel et faire part de ses réflexions sur l’avenir des économies canadiennes et américaines.

Tout a commencé en 2020

La situation économique actuelle est le résultat direct de la pandémie, des chocs économiques qui en ont découlé et des efforts énergiques de redressement qui ont suivi. Comme le fait remarquer Mme Freestone, « tout a commencé en 2020 », ce qui en dit long sur le chemin complexe et sinueux qu’ont emprunté les deux pays pour parvenir à la situation d’aujourd’hui.


« Le PIB réel s’est contracté d’environ 17 % entre son sommet et le creux qui a suivi, et le Canada a perdu quelque trois millions d’emplois au début de la pandémie, explique-t-elle. Le taux de chômage a même atteint 14 % en mai, ce qui n’a rien d’anodin. »

Une demande excessive s’est ensuite manifestée dans certains secteurs, ce qui a ouvert la porte à une forte inflation. Il est, par exemple, devenu difficile de se procurer du bois d’œuvre pendant la pandémie, en raison de la demande engendrée par les projets de rénovation domiciliaire et des problèmes d’approvisionnement provoqués par les fermetures d’entreprise liées à la COVID-19. Plus tard, les restaurants ont dû assumer une hausse des coûts des aliments et de la main-d’œuvre, tandis que les clients étaient prêts à payer plus, après avoir passé des mois à la maison. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, les cours mondiaux du pétrole se sont envolés.

Mme Freestone se rappelle cette période, car celle-ci est à l’origine de l’inflation à deux chiffres de l’alimentation en 2022. « Lorsqu’elles ont compris que l’inflation était là pour durer, la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine (la Fed) ont augmenté leurs taux d’intérêt de façon drastique. Cette politique monétaire énergique a réussi à tempérer la demande, mais cela a pris du temps. »

Aujourd’hui, l’inflation est revenue à son taux cible d’environ 2 %, et la situation économique commence à se stabiliser. Mais elle n’est pas revenue à son point de départ. Nous en reparlerons.

Sommes-nous en récession ?

Mme Freestone se fait souvent demander par ses clients si le Canada est en récession. Après tout, l’activité économique a ralenti au Canada, et le pays affiche une croissance inférieure à celle de ses rivaux mondiaux, du moins par personne. De plus, de nombreux ménages canadiens trouvent que les temps sont plus durs que jamais.

Pourtant, les économistes affirment que le Canada n’est pas en récession, en raison, principalement, de la croissance globale de l’économie. De fait, même si la croissance de la production par personne a ralenti (la production réelle par personne a baissé au cours de huit des neuf derniers trimestres), les données générales indiquent une croissance. Pourquoi ? « Le Canada a enregistré des niveaux exceptionnellement élevés d’immigration ces dernières années, explique encore Mme Freestone. Nous avons accueilli plus de deux millions de nouvelles personnes dans l’économie depuis le milieu de 2022, ce qui représente autant de nouveaux consommateurs. L’immigration a empêché une chute brutale de la production générale – je fais partie des économistes qui n’ont pas peur d’affirmer que, sans l’immigration record de ces dernières années, le Canada serait probablement en récession aujourd’hui. »

Comment l’économie américaine se compare-t-elle à la nôtre ?

Depuis un certain temps, les États-Unis s’en sortent nettement mieux que le Canada, notamment parce que les gens ne réduisent pas autant leurs dépenses qu’au Canada.

Une des principales raisons pouvant expliquer cette différence réside dans le fait que les Américains sont moins sensibles aux taux d’intérêt que les Canadiens. Par exemple, les prêts hypothécaires sont souvent de plus longue durée aux États-Unis, et il est plus facile et moins coûteux de les renégocier ; cela crée un environnement dans lequel les propriétaires immobiliers ressentent de façon moins aiguë que leurs homologues canadiens les effets des taux d’intérêt. Par ailleurs, même si les Canadiens et les Américains ont épargné comme jamais pendant la pandémie, ces derniers ont pratiquement tout dépensé. La tendance des Canadiens à plutôt accroître leur épargne tient probablement au contexte récent des taux d’intérêt et à son incidence sur le pouvoir d’achat au quotidien.

Mme Freestone indique toutefois qu’elle observe une certaine prudence de la part des Américains. « Les risques ont augmenté par rapport à il y a six mois. Nous commençons à voir de légers signes de ralentissement de l’activité manufacturière aux États-Unis, et le vent tourne sur les marchés de l’emploi américains. » Elle cite, comme exemple des fissures qui commencent à se dessiner, le récent recul des marchés boursiers, en août, à la suite d’une hausse du chômage à un taux qui n’était pas sans rappeler celui de récessions passées.

L’inflation globale atteint son taux cible : que peut-on en conclure pour les Canadiens ?

Au moment où nous écrivons ces lignes, le taux d’inflation est de 1,6 % au Canada, soit nettement dans la fourchette cible de 1 % à 3 % de la Banque du Canada. « Bien que nous soyons en plein cœur de la cible, je tiens à insister sur le fait que l’inflation de 2 % de 2024 est très différente de l’inflation de 2 % de 2019 », précise Mme Freestone.

En effet, les deux tiers de la croissance du prix du panier de l’IPC – le principal indicateur de l’inflation – sont attribuables aux coûts d’intérêts des prêts hypothécaires et aux loyers. « Personne n’est à l’abri. Tout le monde doit payer pour avoir un toit », fait-elle remarquer. Elle ajoute que les prix de l’alimentation ont augmenté de 25 % par rapport à avant la pandémie et que, si l’inflation est revenue à sa cible pour le panier d’épicerie, cela ne signifie pas que les prix vont baisser immédiatement. « Même si l’inflation est à 2 %, la pression est ressentie par tout le monde. Précédemment, en 2019, les pressions inflationnistes n’étaient pas nécessairement universelles, car elles n’étaient pas toutes attribuables aux coûts du logement et de l’alimentation. »

Bien que le contexte soit légèrement différent aux États-Unis, Mme Freestone souligne que l’inflation globale tend également à baisser au sud de la frontière. Après la première baisse, énergique, de 50 points de base des taux d’intérêt décrétée par la Fed, la hausse du prix des articles du panier de l’IPC est tombée sous la moyenne d’avant la pandémie ; en outre, la croissance des prix de l’énergie a ralenti ces derniers mois, avec pour effet de réduire l’inflation globale. « Toutes les tendances sont favorables », résume Mme Freestone.

Taux d’intérêt : des signes laissent entrevoir de nouvelles baisses

Mme Freestone explique que certains indicateurs permettent de s’attendre à de nouvelles baisses des taux d’intérêt de la part de la Banque du Canada. Les coûts de service de la dette, qui sont un de ces indicateurs, commencent à augmenter tant pour les entreprises que pour les consommateurs. Les cas d’insolvabilité d’entreprises sont en hausse au Canada, ce qui est en partie accentué par le fait que les prêts au titre du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (prêts CUEC) deviendront exigibles en janvier. Du côté des consommateurs, une part record de leur revenu net sert à rembourser leur prêt hypothécaire et d’autres dettes.

« Nous sommes aujourd’hui dans une situation où le ménage moyen consacre près de 15 % de son revenu net au remboursement de dettes. Les prix ont de façon générale augmenté de 18 %, et nous commençons de ce fait à voir la consommation ralentir au Canada », déclare Mme Freestone.  Ces indicateurs, combinés à une hausse du taux d’utilisation des cartes de crédit et des cas de défaillance, alors que la croissance des salaires rattrape à peine l’inflation, la conduisent à penser que les taux d’intérêt continueront de baisser.

Le taux de chômage touche les nouveaux venus sur le marché du travail

En ce qui concerne le marché du travail, Mme Freestone signale que le taux de chômage a augmenté de 1,8 %. Bien que le taux actuel de 6,5 % constitue assurément une amélioration considérable par rapport aux quelque 14 % atteints au plus fort de la pandémie, les personnes auparavant sans emploi, comme les étudiants et les nouveaux arrivants au Canada, peinent à trouver du travail. « Il commence à être très difficile pour les étudiants universitaires et les jeunes diplômés de trouver un premier emploi par les temps qui courent », ajoute-t-elle. Si l’on observe une légère hausse des licenciements, un nombre croissant d’entreprises gèle les embauches, ce qui rend difficile pour les nouveaux travailleurs de faire leur place.

Parallèlement, le taux de chômage, jusque-là extraordinairement faible, est en hausse aux États-Unis. Mme Freestone et les autres économistes continuent de surveiller la situation.

Les conséquences de l’élection américaine

« Les regards des économistes sont partout tournés vers novembre », observe Mme Freestone, en faisant référence à l’élection américaine. Quel qu’en soit le résultat, le Canada s’attend à de nouveaux tarifs douaniers. Comme l’administration Biden n’a pas supprimé les droits de douane précédemment imposés par le président Trump, tout indique que les tarifs resteront en vigueur. Si M. Trump devient le prochain président, il faut s’attendre à ce que ces derniers augmentent par rapport à aujourd’hui, ce qui se traduirait par une hausse des prix pour les consommateurs canadiens.

Par ailleurs, M. Trump devrait réduire l’impôt des sociétés. Bien qu’une telle décision soit de nature à encourager l’investissement aux États-Unis, elle serait défavorable pour la concurrence canadienne et pourrait avoir pour effet de détourner les investissements au Canada vers les États-Unis.

Perspectives pour le dollar canadien face au dollar américain

Étant donné que l’économie américaine surpasse l’économie canadienne, Mme Freestone s’attend à voir le dollar canadien s’affaiblir au quatrième trimestre de 2024 et au premier trimestre de 2025. Qui plus est, comme les taux d’intérêt sont sensiblement supérieurs aux États-Unis par rapport au Canada, la devise américaine devrait se renforcer. « Selon nos prévisions, le dollar canadien devrait s’établir autour de 71 cents américains au quatrième trimestre et au premier trimestre, soit un peu plus bas qu’aujourd’hui. » Mme Freestone voit toutefois la monnaie canadienne s’apprécier par rapport à la devise américaine au second semestre de 2025.

Accessibilité à la propriété

Mme Freestone relève que l’accessibilité à la propriété a été sérieusement mise à mal au Canada. Bien que la demande de logements soit forte, on n’a pas encore observé de hausse notable de l’activité, même après les récentes baisses de taux d’intérêt. L’économiste avance que cela tient au fait que l’accessibilité demeure un frein pour l’activité. « Pour beaucoup de gens, il est très difficile non seulement d’épargner pour constituer un dépôt initial, mais aussi de satisfaire aux critères d’octroi d’un prêt hypothécaire, car, dans de nombreuses villes, le prix moyen des maisons est supérieur à un million de dollars au Canada. »

Mme Freestone fait aussi remarquer que les Canadiens doivent en moyenne consacrer plus de 60 % de leur revenu avant impôt à l’achat d’un logement. En Ontario et en Colombie-Britannique, c’est encore pire, ce taux grimpant à plus de 80 %. « Il est dès lors très difficile pour les acheteurs d’accéder au marché », analyse-t-elle.

S’il y a eu certaines corrections depuis le pic du marché en 2022, les prix restent nettement au-dessus de leurs niveaux d’avant la pandémie, et l’accessibilité demeure une contrainte pour beaucoup d’acquéreurs. À la question de savoir si elle s’attend à une crise de l’immobilier au Canada, Mme Freestone répond qu’elle ne pense pas que cela se produira. « La demande est vraiment forte. Même si de très nombreux acheteurs ont des moyens limités, on trouve encore des gens qui peuvent effectuer un dépôt initial. Notre population croît très rapidement, et nous ne construisons pas des logements à un rythme suffisant pour faire face à cette croissance, aussi les prix de l’immobilier résidentiel continueront-ils d’augmenter. » Cela dit, Mme Freestone ne s’attend pas à voir l’immobilier s’apprécier au rythme observé pendant la pandémie.

Conclusion

Bien que l’inflation et les taux d’intérêt diminuent, les Canadiens continueront de souffrir des coûts des biens de consommation courante et du logement en particulier. Certains signes incitent toutefois à l’optimisme : la baisse des taux d’intérêt offrira un répit aux emprunteurs, les coûts des maisons ne devraient plus augmenter au rythme de ces dernières années, et les jeunes à la recherche d’un travail devraient voir une embellie en 2025, alors que le marché du travail devrait s’améliorer. Cependant, étant donné ce qui se passe dans le monde aujourd’hui, le contexte géopolitique pourrait réserver des surprises l’an prochain.

Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses entités ne font pas la promotion, ni explicitement ni implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.

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