La prochaine révolution verte à Winnipeg, Manitoba : L’expertise des agriculteurs, une richesse à exploiter pour une agriculture durable
Publié le 16 août 2023 • 8 min de lecture
« Quand on aborde la question de la [durabilité] dans une rencontre agricole, la plupart des participants lèvent les yeux au ciel et tournent leur attention ailleurs pour une vingtaine de minutes, déclare Nicolea Dow, agricultrice de troisième génération et membre du conseil d’administration de Manitoba Canola Growers. C’est parce que nous en avons vraiment assez que d’autres personnes nous disent quoi faire. Il est essentiel, aujourd’hui, que les agriculteurs soient élevés au rang d’experts, car nous n’avons pas eu la possibilité de nous exprimer là où nous aurions dû le faire. »
L’importance de cette inclusion dans l’élaboration des politiques est ce qui est ressorti de la discussion entre Mme Dow et les autres invités du récent événement La prochaine révolution verte organisé par RBC à Winnipeg, au Manitoba. En plus de Mme Dow, la table ronde réunissait les personnes suivantes :
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Harwin Bouwman, chef de l’exploitation, Kroeker Farms
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John Heimbecker, chef de la direction, Parrish & Heimbecker, Limited (P&H)
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Nazim Cicek, doyen associé, Recherche, Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université du Manitoba
Les invités s’entendent pour dire qu’il y a un décalage entre la perception des agriculteurs à l’égard de l’agriculture durable et la manière dont les décideurs élaborent les lois visant à aider les fermes à atteindre la carboneutralité.
Tout d’abord, en tant que gardiens de longue date de la terre, les agriculteurs savent souvent ce qui est le mieux. Ils sont sur le terrain, ce qui n’est pas le cas de la majorité des décideurs politiques.
« Nous pratiquons l’agriculture au Manitoba depuis les années 1870-1880, affirme M. Heimbecker. [Les décideurs] doivent avoir l’assurance que les personnes dont le gagne-pain dépend de la notion d'[agriculture durable] auront toujours à cœur que ces principes [soient au centre de leurs activités]. Sinon, ils n’ont plus rien. »
M. Bouwman est d’accord. Il ajoute que ce n’est pas que les agriculteurs refusent de parler de durabilité avec les représentants gouvernementaux. En réalité, leur exaspération vient du fait qu’on leur donne des directives au lieu de les inclure dans le dialogue et que le ton du discours semble réactif plutôt que proactif.
« Quand nous exploitons une parcelle de terre, nous pensons aux prochaines générations, dit-il. [Nous devons réfléchir] de cette façon [lorsque vient le temps d’élaborer des politiques] en réponse aux nouvelles pressions, et permettre une [adaptation] progressive et adéquate. Les idées seront légion dans les années à venir. [Nous souhaitons simplement faire passer le message] au gouvernement que nous avons les choses en main. Nous désirons utiliser des méthodes plus [respectueuses de l’environnement]. Nous l’avons toujours voulu. »
Pour M. Heimbecker, ce manque de prévoyance et la nécessité d’arriver rapidement à la carboneutralité ont déjà donné lieu à des décisions discutables de la part d’Ottawa.
« Je crois que nous devons vraiment prendre un pas de recul sur toute cette histoire d'[agriculture durable], fait-il remarquer. Selon moi, les politiques de l’Est vont bien au-delà de ce qui est pragmatique et pratique pour le Canada. Je ne dis pas qu’on ne peut pas s’améliorer, mais à mon sens, peut-être dans un effort pour faire [de notre pays] un chef de file mondial, les politiques ont nettement dépassé nos capacités. »
Il souligne par ailleurs qu’il n’a encore jamais vu (à l’échelle mondiale) quiconque cultiver la terre mieux que les agriculteurs de l’Ouest du Canada. De plus, la plupart des améliorations écologiques dans le milieu ont été apportées sans qu’aucune politique gouvernementale ne soit nécessaire.
Il note, par exemple, que les fermiers ont collaboré avec leurs fournisseurs afin d’accroître l’intensité agricole, « ce qui devrait nous en dire beaucoup sur le rôle de la politique gouvernementale par rapport à la volonté des agriculteurs de s’occuper de [leur] terre ».
M. Cicek parle d’un autre défi auquel les agriculteurs sont confrontés. En effet, ces derniers sont souvent responsables d’interpréter les recherches et les politiques et de les transposer dans leurs pratiques au champ. Les décideurs et les groupes de producteurs devraient avoir un rôle à jouer à cet égard.
« Les possibilités sont nombreuses si cela est fait correctement et traduit en actions sur le terrain, indique-t-il. Le défi, c’est que les producteurs prennent les [recherches] et les utilisent. La connaissance n’est pas un facteur limitatif. Ce sont les incitatifs au changement qui nous freinent… et on en revient à la politique. »
Les invités ont évoqué une autre préoccupation bien réelle. À leur avis, il peut être trop facile pour les décideurs d’élaborer des politiques agricoles sur la base de certaines données sans tenir compte de la chose que les agriculteurs font le mieux : cultiver des aliments.
« Nous pouvons parler de biocarburants et de toutes ces choses, mais le cœur de l’agriculture, c’est la production de nourriture, explique Mme Dow. Il ne faut pas perdre de vue cette valeur intrinsèque. Nous vivons à une époque [où nous réalisons l’importance] des denrées non seulement pour la vie humaine, mais aussi pour la paix et la stabilité dans le monde. C’est donc là-dessus que ces conversations doivent revenir. Il serait inacceptable d’adopter des solutions qui diminueraient la production alimentaire, surtout dans un pays comme le Canada. »
C’est là que l’on constate la grande pertinence des propos de M. Bouwman quant à la décision de Kroeker Farms de produire à la fois des cultures biologiques et conventionnelles. Il soutient qu’en dépit du fait que la technologie utilisée dans l’agriculture biologique puisse réduire le fardeau environnemental, il ne s’agit pas encore d’un modèle de production durable pouvant faire l’objet d’une utilisation régulière par les agriculteurs.
De prime abord, il n’est pas financièrement viable de tout cultiver dans le cadre d’un régime biologique. « Il faut toujours se demander si les consommateurs sont prêts à payer le surplus, fait-il savoir. Or, à l’heure actuelle, seule une petite partie de la population l’est. Ces personnes sont habituellement assez riches et soucieuses de l’environnement pour s’offrir ces produits plus coûteux. En outre, ces produits ne sont pas nécessairement à l’épreuve d’une récession, et ce sera un défi. »
L’agriculture biologique n’est pas non plus soutenable du point de vue des rendements. À la ferme de M. Bouwman, dans le cas des parcelles biologiques, les rotations font en sorte qu’une année sur trois, il faut planter une culture d’engrais vert. Autrement dit, des denrées destinées à l’alimentation sont produites deux années sur trois, et à un taux de rendement inférieur comparativement à l’agriculture conventionnelle. « Nous produisons donc moins d’aliments par acre. Est-il possible de nourrir la planète avec des [rendements] inférieurs de 55 % à ceux obtenus à l’aide des méthodes conventionnelles ? Non. Alors, allons-nous transformer encore plus de terres en exploitations agricoles ? Cela ne serait pas sensé, surtout dans le contexte des gaz à effet de serre. »
C’est pourquoi les participants à cette table ronde estiment qu’il est primordial d’inclure les agriculteurs dans les conversations au sujet de l’agriculture durable, qu’elles portent sur les cibles de réduction des émissions liées aux engrais d’ici 2030, les solutions pour surmonter les obstacles technologiques dans les collectivités agricoles rurales ou les façons de mesurer efficacement la matière organique dans le sol.
« Je pense que les agriculteurs ressentent de la frustration, parce que tout cela a été fait dans la précipitation, avance Mme Dow. On ne nous a pas donné de marche à suivre. On ne nous a pas expliqué en quoi ces pratiques changent tellement la donne. Et quand on ne comprend pas l’incidence d’un changement, il est difficile d’y adhérer. Par conséquent, je considère qu’il faut tirer parti de l’expertise des agriculteurs. Il faut également leur donner l’occasion de discuter ensemble et avec les représentants gouvernementaux. C’est une [solution] de la vieille école, mais ô combien importante. »
Cliquez ici pour consulter le récent rapport La prochaine révolution verte de RBC.
Vous pouvez également découvrir ce que les experts du secteur et les agriculteurs présents lors de nos autres événements avaient à dire à propos du rôle de la durabilité dans l’avenir de l’agriculture.
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